Feuille de route 2022-2026 : Une éducation de qualité est-elle finalement à portée de main

08 ديسمبر 2022 - 10:12

Après une longue attente de plus d’un an, le ministère de l’Éducation nationale a annoncé ce qu’il a appelé la feuille de route 2022-2026 : douze engagements pour une école publique de qualité. On est en droit de s’interroger sur les raisons de ce retard, d’autant plus qu’il ne s’agit que d’une tâche claire ayant pour objet de détailler ce que le gouvernement entendFeuille de route 2022-2026 : Une éducation de qualité est-elle finalement à portée de main ? accomplir pour satisfaire aux dispositions de la loi-cadre sur l’éducation et aux orientations de la Vision stratégique 2030, pour in fine mettre le train de la réforme sur la bonne voie. Quelles qu’en soient les raisons, la lecture du document de la feuille de route a permis de tirer un ensemble de conclusions, dont les plus importantes est qu’elle a globalement respecté les exigences de la loi-cadre, sauf dans quelques cas importants, et a adopté une approche considérée comme nouvelle et en rupture avec les méthodes antérieures d’opérationnalisation des réformes, et a proposé des mécanismes de qualité qui ont fait leurs preuves dans les pays développés, mais elle a aussi préconisé d’autres mécanismes dont l’efficacité n’a pas été confirmée dans les pays qui les a adoptés.

Ainsi, la nouvelle feuille peut être considérée comme une nouvelle mise en scène d’orientations connues aujourd’hui de tous, sept ans après la vision stratégique qui les a produites. Indépendamment de l’aspect architectural qui met l’accent sur les trois composantes de base du système éducatif que sont l’élève, l’enseignant et l’établissement scolaire, ce qui met le focus sur l’environnement proche du premier bénéficiaire des services éducatifs qu’est l’élève, l’examen du contenu nous permet d’attester sa compatibilité globale avec ce qui a été stipulé dans la loi-cadre sur l’éducation, bien que dépourvu de certaines des questions éducatives importantes sur lesquelles la loi a pourtant insisté. Parmi ces questions qui ont été négligés par la feuille de route, on peut citer l’intégration de l’enseignement préscolaire dans l’enseignement primaire, l’articulation de l’enseignement primaire avec l’enseignement collégial, la mise en place et le développement d’unités de soutien psychologique et de cellules de médiation encadrées par des cadres spécialisés et leur généralisation au niveau national.

La raison de négliger ces questions peut résider dans l’adoption d’une approche axée sur les priorités, ce qui est une bonne chose, mais celui qui y réfléchit est conscient de leur importance. De plus, certaines des mesures présentées restent incomplètes car elles ne sont pas rattachées aux mécanismes institutionnels prévus dans la loi-cadre. Lorsqu’elle évoque la révision du curriculum, la feuille de route ne confie pas cette tâche stratégique au Comité permanent des programmes, créé par décret il y a plus d’un an et habilité à procéder à cette révision, et n’inclut pas parmi ses priorités l’élaboration du cadre de référence national du curriculum et les guides des programmes et formations prévus par la loi-cadre. Au sujet des langues, la feuille de route met l’accent sur l’extension de l’enseignement de l’amazigh au primaire, le renforcement de l’enseignement du français dans toutes les filières et l’extension de l’enseignement de l’anglais dans les deux cycles du secondaire, mais elle néglige d’une manière incompréhensible la langue arabe et n’en parle même pas, alors que la loi-cadre recommandait une révision en profondeur des curricula et des programmes d’enseignement de la langue arabe, et le renouvellement des approches pédagogiques et des outils didactiques utilisés dans son enseignement. Dans le domaine de l’évaluation, qui constitue une priorité majeure de la feuille de route en raison de son rôle important dans l’amélioration de la qualité de l’enseignement, le cadre national de référence des certifications, qui comprend notamment les règles et critères de classement et d’aménagement des certificats, n’a pas été mentionné.

D’autre part, la feuille de route prévoit un statut unifié pour tous les cadres éducatifs, garanti par l’État, mais elle ne s’engage pas à définir le mécanisme sans lequel il n’est pas possible de parler d’un statut qui respecte les normes scientifiques en vigueur. Ce dispositif est le référentiel d’emplois et de compétences qui définit les tâches et les compétences des cadres pédagogiques et administratifs appartenant aux différents groupes professionnels œuvrant dans le domaine de l’éducation et de la formation et est adopté pour attribuer les responsabilités, évaluer les performances, et décider de l’évolution dans la carrière professionnelle. A cet égard, la loi-cadre oblige les autorités gouvernementales compétentes à adapter les statuts des différents groupes professionnels aux principes, règles et normes stipulés dans les guides de référence susmentionnés. En outre, la feuille de route a négligé l’aspect législatif et n’a pris aucun engagement quant à la promulgation des textes législatifs et réglementaires que la loi-cadre exige de placer dans le circuit d’approbation dans un délai n’excédant pas trois ans à compter de sa promulgation, date que nous avons dépassé de plus de trois mois.

Par ailleurs, dans la littérature de planification stratégique, les objectifs stratégiques sont considérés comme la base d’évaluation de toute feuille de route, et les engagements qui en découlent ne sont que des éléments dépendants qui servent les objectifs stratégiques. Mais ce qui est perceptible sur le document présenté par le ministère, c’est qu’il se contente de trois objectifs stratégiques, avec la limitation de l’un d’entre eux, celui concernant les apprentissages de base, au doublement du pourcentage d’élèves du primaire qui maitrisent ces apprentissages, ce qui signifie inéluctablement que notre feuille de route n’inclut pas le reste des cycles au moins dans sa partie qui concerne l’amélioration de la qualité des apprentissages. Par conséquent, le ministère ne s’engage pas explicitement sur la qualité des apprentissages dans le secondaire avec ses deux cycles collégial et qualifiant. Bien que la feuille de route nous annonce l’adoption d’une nouvelle approche centrée sur l’impact au sein des classes, elle l’a abandonnée dans sa formulation du deuxième objectif lié aux activités parascolaires lorsqu’elle a défini comme cible le doublement du pourcentage d’élèves bénéficiant de ces activités. Cette formule est loin de refléter l’approche par les résultats, qui si elle était effectivement adoptée, l’objectif serait devenu le pourcentage d’élèves qui sont imprégnés de certaines valeurs, par exemple, car c’est ce qui représente vraiment l’impact que nous recherchons chez nos élèves. Quant au fait de bénéficier des activités, il n’est qu’un moyen d’atteindre cet objectif, et il ne pourra peut-être pas l’atteindre si les conditions appropriées ne sont pas réunies, notamment un bon encadrement.

La feuille de route a adopté une nouvelle approche basée sur la théorie du nouveau management public, qui s’appuie principalement sur la définition d’indicateurs chiffrés pour les résultats, la fixation de normes précises pour les exigences de réalisation les plus importantes et l’évaluation régulière des résultats afin de lier la motivation à la rentabilité, en plus d’adopter des mécanismes d’assurance qualité en tant qu’outils et méthodologies qui aident à atteindre les résultats souhaités au niveau de qualité souhaité. Les manifestations de cette approche sont les suivantes :

  • Mesurer la qualité du préscolaire grâce à une évaluation nationale des acquis à l’entrée dans l’enseignement primaire
  • Déterminer les résultats d’apprentissage attendus d’une manière mesurable qui reflète les compétences à posséder à la fin de chaque année scolaire
  • Évaluer objectivement le niveau d’apprentissage des élèves à la fin de chaque année scolaire au moyen d’un observatoire pour mesurer les apprentissages
  • Revoir le système d’examens et de contrôle continu pour devenir un outil d’amélioration des apprentissages
  • Contrôler la qualité de la formation des professeurs à travers “l’Institut du Professorat”
  • Mettre en place un nouveau système d’évaluation de la performance des cadres pédagogiques basé sur des critères plus objectifs et équitables
  • Améliorer les revenus du personnel enseignant en fonction de leurs rendements et contributions à l’apprentissage des élèves
  • Mettre en place un système de label qualité délivré par un organisme indépendant afin d’améliorer et de mesurer la performance des établissements scolaires et de leur fournir une plus grande marge de manœuvre et des ressources supplémentaires.
  • Travailler avec des contrats de performance à tous les niveaux du système éducatif, déterminés en fonction des objectifs stratégiques

Si ces mesures servent indiscutablement la qualité du système éducatif, leur mise en place nécessite la prise en compte de certaines exigences, sans lesquelles on risque d’atteindre des résultats contre-productifs, ce que nous ne souhaitons pas. Les études menées sur les systèmes éducatifs qui ont adopté cette approche ont montré qu’une utilisation excessive de celle-ci exerce sur les acteurs une pression psychologique terrible, dont les conséquences sont l’évasion du métier d’enseignant et une focalisation excessive sur l’obtention d’acquis d’apprentissage sans grande considération pour les contenus. Aussi, le fait de ne pas rattacher le système qualité à des mesures garantissant l’égalité des chances contribue à perpétuer les différences sociales et territoriales par la hiérarchie qu’il crée entre les établissements scolaires. De plus, cette approche passe nécessairement par la mise à disposition de conditions de travail appropriées pour tous les cadres pédagogiques et administratifs, la mise à disposition de capacités minimales pour tous les établissements, et leur accorder l’autonomie nécessaire pour être véritablement responsables de leur performance. Sans oublier que le système qualité est lié à la définition précise des normes à tous les niveaux du système, en tenant compte des orientations inscrites dans la vision stratégique et des dispositions de la loi-cadre, selon une démarche scientifique précise et approfondie visant à assurer la qualité de l’apprentissage pour tous les apprenants.

Le passage d’une approche centrée sur les moyens et les procédures à une culture de la réforme centrée sur l’impact au sein des classes s’impose et pérenniserait la culture de la rentabilité et de la reddition des comptes, mais cela ne doit pas être compris comme une rupture avec l’approche des moyens et l’approche des processus ou des procédures comme l’appelle la feuille de route, car ce sont tout simplement des approches indispensables dans toute mesure administrative ou pédagogique. Au contraire, on peut dire que notre système éducatif souffre d’une grave pénurie de procédures, et de nombreux processus de grande importance ne sont régis par aucune règle et restent soumis à une gestion aléatoire et à des humeurs administratives. Et si aujourd’hui nous saluons le ministère pour avoir adopté l’approche axée sur les résultats, nous l’appelons en même temps à définir des normes claires pour les inputs et les processus du système éducatif, et à rattacher cela à l’élaboration des procédures nécessaires tout en les simplifiant d’une manière qui en garantit la facilité d’application.

Quant à l’adoption de l’expérimentation avant la généralisation, elle peut s’imposer à l’égard de tout ce qui est nouveau dont les résultats demandent à être confirmés, et ne constitue pas un préjudice potentiel pour le groupe soumis à l’expérimentation, mais elle ne peut pas être utilisée systématiquement dans tous les solutions adoptées par le ministère, surtout s’il s’agit d’une réforme multidimensionnelle comme c’était le cas avec le système du Bachelor, qui a été testé par le ministère de l’enseignement supérieur l’an dernier sur un large échantillon d’étudiants, et lorsqu’il a été retiré cette année, cela a eu de grandes répercussions négatives sur les victimes de cette expérimentation. L’expérimentation doit également s’étendre à des politiques et pratiques qui ont déjà prouvé leur qualité et leur mérite dans un environnement éducatif plus efficace que le nôtre. Or, importer des solutions toutes faites de pays qui ne se distinguent en rien de notre système éducatif, comme cela s’est produit en le domaine du soutien pédagogique, cela ne nous profitera pas beaucoup, surtout s’il s’agit d’une tâche qui relève des tâches normales des enseignants, car il suffisait de demander à nos experts pédagogiques d’approfondir le sujet pour proposer des solutions pratiques pour remédier aux difficultés scolaires dont souffrent les apprenants marocains.

Nous sommes aujourd’hui à un tournant important qui nécessite la mobilisation de tous pour la bonne mise en oeuvre de la nouvelle feuille de route, qui se caractérise par une grande cohérence systémique et vise à s’approprier globalement la culture de la qualité et ses mécanismes, après que le ministère l’avait fait auparavant, mais uniquement à titre expérimental entre 2010 et 2012. Elle cherche également à tirer les leçons de l’échec des réformes précédentes en mettant l’accent sur le renforcement des capacités des acteurs, en soutenant leur autonomie et en motivant leur responsabilité, en adoptant une approche systémique qui assure la synergie des efforts concertés afin d’atteindre la convergence et la cohérence entre toutes les opérations, en suscitant l’implication et l’engagement de toutes les parties prenantes par des partenariats contractuels, et en assurant une augmentation annuelle des financements de l’ordre cinq milliards de dirhams. Nous espérons que tout cela sera renforcé en prenant en compte ce qui a été souligné dans cet article et en soutenant le financement supplémentaire avec une gouvernance financière qui garantit l’efficacité et la transparence dans la dépense des budgets afin d’éviter ce qui s’est passé avec le programme d’urgence en termes de non-réalisation de nombreuses obligations malgré la disponibilité des fonds nécessaires. Nous espérons également que le Ministère réussira à mettre en œuvre cette feuille de route, car les réformes précédentes ne manquaient pas tant de stratégies qu’elles manquaient d’efficacité dans la mise en œuvre, et d’absence de mécanismes efficaces pour faire échouer les tactiques des « statuquologues » de la technostructure.

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